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U.L.  Force Ouvrière de Cambrai

15 - La réglementation de la grève

Inscrit dans la Constitution depuis 1946, le droit de grève est autorisé en France depuis 1864. Mais sa réglementation reste une affaire toujours délicate.

Dès que l’on parle de « réglementer » la grève sur un point ou un autre, on entend crier non seulement à l’attentat contre le droit de grève, mais au viol de la Constitution, qui dans son préambule de 1946, repris en 1958, aurait reconnu ce droit. C’est la faire fi de la vérité historique et considérer, sans grand souci d’exactitude et l’histoire du droit de grève et l’esprit de la constitution. Le droit de grève avait été reconnu aux salariés bien avant la Libération et ses Assemblées constituantes. La grève, c’est la cessation concertée et collective du travail. Ce qui était illicite en elle, depuis le Code pénal de 1810, ce n’était pas la cessation du travail, mais sa cessation concertée, la concertation conduisant à une coalition, c’est à dire à une association non autorisée qui, même temporaire, constituait un délit. On reconnaît là ce qu’on pourrait appeler la phobie des hommes de 1789 et de la première Constituante, qui - à l’instar de tous les gouvernements antérieurs, redoutaient les attroupements et groupements d’individus, dont on ne sait jamais ce qui peut en sortir, en bien comme en mal. Rousseau d’ailleurs, dans son Contrat social, avait condamné toutes les sociétés particulières qui pourraient se constituer à l’intérieur du corps social, et de ce seul fait, substituer l’expression de volontés particulières à celle de la volonté générale. L’une des conséquences les moins connues de cette condamnation de toute association qui ne serait pas expressément autorisées par l’Etat fut l’interdiction des partis politiques qui, jusqu’à la loi Chirac du 11 mars 1988, n’ont jamais été que des organisations de fait sans existence juridique, sans personnalité morale, sans possibilité notamment d’ester en justice ni de posséder des biens, même si, depuis la loi du 1er juillet 1901, la constitution de ces associations sans fondement juridique bénéficiait de ce que, sous le Second Empire, on avait appelé « la tolérance administrative ».

1864 : suppression du délit de coalition

Le délit de coalition fut aboli, à l’instigation de Napoléon III, par la loi qu’Emile Ollivier fit voter en 1864 (loi du 25 mai 1864) et qui fut renforcée par la loi du 6 juin 1868, toujours d’inspiration napoléonienne, qui autorisa les réunions publiques, à la condition qu’il n’y fut point parlé de politique ni de religion, mais seulement de questions sociales ou scientifiques, l’expérience ayant prouvé que, pour se coaliser, il fallait pouvoir se réunir, ce qui avait permis à certains magistrats de poursuivre des grévistes, non plus pour délit de coalition, aboli, mais pour délit de réunion publique non autorisée.

Dès lors, les obstacles juridiques à la cessation concertée du travail se trouvaient levés et le droit de grève, pour la première fois, se trouvait de facto reconnu.

Les Constituants de 1946 n’ont donc pas eu à reconnaître un droit nouveau, et l’on pourrait même soutenir qu’en l’inscrivant dans la Constitution, ils n’ont pas seulement cherché à la consacrer solennellement, mais qu’ils ont entendu montrer que ce droit n’était pas, si on peut dire, anarchique, qu’il n’échappait pas à l’emprise de la loi et qu’il pouvait, et même qu’il devait être l’objet d’une réglementation légale.

Que dit en effet le texte qu’ils ont voté et qu’un référendum ratifia ? « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». N’était-ce pas dire qu’il fallait signifier par la loi, autrement dit par la réglementation : dans quelles conditions et quelles circonstances le droit de grève pouvait s’exercer ? On ne ratiocine pas en pensant que ce texte était plus restrictif encore qu’il ne parait, car le premier projet de Constitution, celui qui ne fut pas ratifié (19 avril 1946) présentait une rédaction à la réflexion sensiblement différente : « Le droit de grève est reconnu à tous dans le cadre des lois qui le réglementent ». N’avait-on pas voulu dire, en corrigeant ce texte, que le droit de grève n’était pas universel et que certaines catégories professionnelles pouvaient en être privées ? N’a-t-il pas été entendu, comme allant de soi, et cela aujourd’hui encore malgré le laxisme universel, que les fonctionnaires d’autorité, les policiers, les magistrats, les militaires n’avaient pas de droit de « se concerter pour cesser en commun le travail ».

Les hommes politiques d’alors étaient si bien convaincus que la Constitution les enjoignaient à élaborer une réglementation de la grève que le premier gouvernement qui fut chargé de mettre en œuvre les nouvelles institutions, dont l’élection du Président de la République, le gouvernement socialiste « homogène » que dirigeait Léon Blum (novembre 1946-janvier 1947) mit à l’étude une telle réglementation.(1) Le ministre du Travail dans ce gouvernement, Daniel Mayer (2) devait avouer qu’il avait fait échouer l’entreprise parce qu’il lui était apparu qu’on ne pouvait réglementer la grève sans lui enlever son efficacité.

Depuis lors, quoi qu’on en dise, des textes législatifs sont venus « réglementer » la grève. Il en est que les syndicalistes ne peuvent manquer de considérer comme positifs, tel cet article de la loi du 11 février 1950 qui précise que « la grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute grave imputable au salarié ».

L’exigence d’un préavis

Il en est au contraire qui ont imposé certaines limitations à la mise en œuvre de la grève. Depuis toujours, l’usage de la violence pour forcer quelqu’un à faire grève, l’entrave à la liberté du travail sont passibles de pénalités diverses. La plus célèbre est cette loi du 31 juillet 1963 qui exige que, dans un certain nombre d’administrations ou de services publics, le ou les syndicats qui lancent le mot d’ordre de grève déposent à la direction concernée un préavis de cinq jours, les partenaires sociaux devant mettre ce temps à profit pour chercher des accommodements.

L’histoire de cette loi mérite d’être rapidement rappelée. Fin juin 1963, une grève surprise du métro avait provoqué dans Paris des embouteillages monstres qui avaient fait dire à Jacques Fauvet, dans Le Monde du 29 juin, que « lorsque les agents des services publics jettent à l’improviste des millions de travailleurs sur le pavé et sous la pluie, ce n’est pas une grève c’est l’anarchie ». La pluie n’avait pas été la seule circonstance aggravante. Ce jour-là, le général de Gaulle recevait le sultan du Maroc, dont le cortège mit plusieurs heures pour atteindre l’Elysée. Le chef de l’Etat exigea que l’on y mit bon ordre et, dans l’urgence, la loi fut votée et promulguée avant la fin de la semaine parlementaire.

On n’a pas assez remarqué que cette réglementation apportait aux organisations syndicales représentatives un surcroît de pouvoir, car c’était à elles que revenait la faculté de déposer un préavis de grève. On leur donnait le monopole de la grève licite, celle qui ne rompt pas le contrat de travail, celle qui n’entraîne aucun désagrément pour ceux qui la font. C’est ainsi que, en 1995, lors de la grève des conducteurs de la SNCF qui se fit malgré la volonté de la fédération CGT des cheminots et même contre elle, la « coordination » qui n’était pas un syndicat représentatif, ni même un syndicat tout court, dut avoir recours aux bons offices d’un syndicat de cadres, peu influent, mais reconnu pour faire déposer valablement son préavis de grève.

Des accords entre partenaires sociaux

L’accord qui vient d’être conclu à la SNCF fin 2004 vise, en quelque sorte, à ajouter au préavis de cinq jours déjà imposé par la loi une sorte de « pré-préavis », une période assez longue précédent le dépôt de préavis lui-même, pour permettre une négociation approfondie, l’apaisement des passions, et aussi la mise en place par la direction, au cas où la grève serait déclarée néanmoins, de dispositifs permettant d’atténuer pour les usagers les inconvénients de la grève. Un accord du même genre a été conclu à la RATP en 1996, et il n’a pas été sans succès, bien loin de là.

Nous ne sommes plus tout à fait dans le cadre des prescriptions constitutionnelles, puisque ce n’est pas à la loi que l’on demande de réglementer la grève, mais à la convention entre partenaires sociaux. Voilà qui heurte assurément la manie de la loi qui caractérise la classe politique française et qui a fini par gagner nombre de militants syndicaux, mais cela parait infiniment plus respectueux, non seulement de la pensée libérale, mais aussi de l’idée fondamentale du mouvement syndical, qui est, selon la formule célèbre de Tolain sous le Second Empire, formule fondatrice selon laquelle les salariés ne doivent demander au pouvoir qu’une seule chose, c’est qu’il leur dise : « Vous êtes libres. Faites vos affaires vous-mêmes. Nous n’y mettrons pas d’entrave ».

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